Textes
Né en 1955 à Seoul, Byung-Hun MIN développe depuis plus de trente ans une oeuvre photographique singulière qui tend à rendre visible ce qu'il considère comme l'essence même de son pays : la simplicité et le silence.
Autodidacte, Byung-Hun MIN a passé de nombreuses années à étudier les techniques de développement des photographies argentiques qu'il continue de tirer lui-même dans son atelier près de Séoul. Imprimées sur du papier patiemment choisi pour chaque série, dont la trame visible à l'oeil nu participe de l'oeuvre, ses photographies - toujours en noir et blanc - nous donnent à voir, ou plutôt nous laissent deviner, dans de subtiles nuances de gris, les paysages délicats de la Corée du Sud.
Les photographies de Byung-Hun MIN ont l'évanescence d'un dessin au crayon : très peu contrastées, à la blancheur cassée, délibérément sans éclat, ses oeuvres en appellent à l'art de la discrétion. A peine apparaissent quelquefois dans ces paysages, sur la monotonie photographique, le tremblement d'une ligne, d'un horizon, un plissement que l'on imagine soyeux, une forme géométrique sans rigueur ni blessure, ou bien, tel un secret, dans un recoin, les prémices d'un arbre ou le vol lent d'un oiseau.
Parallèlement Byung-Hun MIN a entrepris depuis quelques années un travail sur le corps et la figure humaine dans lequel se retrouve cette mise à distance poétique face à son sujet. Si cette épure est toujours présente dans les nus où les focus sur certains détails du corps vont jusqu'à perdre le motif, dans un mélange de genres qui peut sembler déroutant au premier abord, nous faisant confondre les courbes d'un bras avec un vallon enneigé dans les portraits, les silhouettes féminines semblent à l'inverse apparaître, prendre corps, s'extraire du fond vaporeux.
Moment imperceptible entre clarté et dissolution, art de l'invisible, de la réserve et du retrait, les photographies de Byung-Hun MIN appellent un autre temps, plus long et silencieux, plus appuyé aussi, qui requiert une attention du regard, une tension de la perception.
Considéré comme l'un des photographes coréens les plus importants, les oeuvres de Byung-Hun MIN sont présentes dans les collections du Museum of Contemporary Photography de Chicago, au San Francisco Museum of Modern Art, au Museum of Fine Arts, Houston, au Los Angeles County Museum of Art, au Seoul Museum of Art, au Fonds National d'Art Contemporain, Paris...
L'exposition que nous lui consacrerons à La Galerie Particulière du 13 octobre au 31 décembre 2011 sera divisée en deux temps distincts : la première partie, du 13 octobre au 24 novembre, présentera la nouvelle série de Byung-Hun MIN sur le corps humain avec la série «Portrait», réalisée entre 2008 et 2010.
Dans un second temps, du 24 novembre au 31 décembre, une exposition dédiée au paysage et à la nature reviendra sur vingt années de création à travers une sélection d'oeuvres de ses plus importantes séries : «Weed», «Deep Fog», «Snow Land», «Sky», «Tree» et «Flowers», que viendra compléter son tout dernier travail sur les océans «Sea».
Emmanuelle de l'Ecotais
Conservatrice en chef du département de la photographie du Musée de la Ville de Paris
Texte du catalogue d'exposition «Deep Fog», HANMI musée de la photographie, 2011
Evanescence, voilà le premier mot qui vient à l'esprit quand on découvre l'oeuvre de Byung-Hun Min. Son travail donne en effet la sensation du temps qui passe, des sentiments qui disparaissent... Imprégnée des traditions picturales asiatique et occidentale, l'oeuvre de Min a pour sujet principal la nature et s'articule en séries. Il réalise des photographies de paysages enneigés, de ciels, de brouillard, d'herbes folles, de ténèbres ou de nus qui ont pour point commun à la fois une approche de la photographie comme moyen de capter la réalité de l'instant, et sa capacité à rendre abstrait un moment d'émotion concret mais éphémère.
Son intérêt se porte principalement sur les métamorphoses de la nature : une plante, la pluie, le vent, une tempête de neige, le brouillard qui monte et qui s'épaissit.
« Quand elles sont là - dit-il - nous ne sentons pas qu'elles sont là. Quand elles partent ou quand elles changent d'apparence, nous remarquons qu'elles étaient là. Et alors seulement elles nous marquent. Je ne parle pas de grandes choses, mais de petites choses, triviales, de celles qui changent accidentellement. Je les ressens vraiment ». Min exprime ainsi sa manière passionnée de vivre et de sentir ce qui l'entoure, de faire corps avec la nature.
Byung-Hun Min travaille exclusivement en noir et blanc. Les tonalités soyeuses et le papier velouté concourent à la création d'une oeuvre poétique et raffinée, à l'esthétique proche de l'aquarelle et de la calligraphie. L'artiste décrit le résultat comme ressemblant « au goût que laisse au petit matin dans la bouche le rêve de la nuit passée ». Tout est ici affaire de sentiments : ressentir le moment présent au moment où il appuie sur le bouton, et restituer cet instant au moment où il réalise son tirage. C'est en allant de chez lui à son atelier (dans Yangpyonggun Sojongmyun Munhori) qu'il réalise la série des « brouillards » (depuis 1998). Au lever ou au coucher du soleil, la brume venue du fleuve envahit son chemin, enfumant la végétation, les immeubles, le haut d'une montage dans un brouillard blanc, dense, à couper au couteau.
D'un point de vue strictement formel, ses oeuvres se reconnaissent par la simplicité de leur construction, la pureté et le minimalisme de leurs formes, l'absence de perspective et de contrastes au profit d'une uniformité des tonalités, une quasi monochromie, souvent d'un gris clair - voir d'un blanc pur, plus rarement d'un gris foncé. Que leur format soit intimiste ou plus imposant, les « brouillards » fourmillent de détails en entraînant le regardeur dans les profondeurs de sensations diverses, qui lui échappent aussi vite qu'elles lui apparaissent.
D'abord ingénieur puis photographe autodidacte, Byung-Hun Min apprécie la photographie pour sa qualité première : sa capacité à enregistrer « l'instant décisif » (comme disait Henri Cartier-Bresson dont le succès en Corée est important dès les années 70). Ainsi considère-t-il qu'il ne faut pas recadrer l'image une fois qu'elle est réalisée, car ce serait tronquer le réel. En ce sens il est un adepte de la photographie « pure ». Or ses images tendent à l'abstraction, se fondent les unes dans les autres, une série mène à l'autre : les vallons enneigés ressemblent aux corps nus tandis qu'un sein pointe vers le ciel tel le sommet d'une montagne : une tempête de neige recouvre la forêt tandis que le brouillard tend sur la cime des arbres un voile blanc... Car si Min ne coupe pas son négatif au tirage, il n'hésite pas à le travailler au développement. Il cherche ainsi à restituer non pas seulement ce qu'il a vu, mais aussi ce qu'il a ressenti au moment où il a pris la photographie. Et cette sensation est de l'ordre de l'infinitésimal, de l'impalpable. Lors du tirage, il réitère l'expérience dans la chambre noire : il guette l'instant où les tonalités reflètent précisément sa première émotion.
Formes abstraites, anamorphoses, visions lunaires, rôle de l'inconscient, tous ces éléments nous rappellent, à nous occidentaux, les caractéristiques de la photographie surréaliste, à laquelle Min ne s'est pourtant jamais particulièrement intéressé. Sa série sur le brouillard, notamment, évoque certaines vues de Paris de nuit (1932) de Brassaï, et particulièrement la fameuse Statut du maréchal Ney dans le brouillard. Brassaï refusait d'être assimilé au mouvement surréaliste et disait : « le « surréalisme » de mes images ne fut autre que le réel rendu fantastique par la vision. Je ne cherchais qu'à exprimer la réalité, car rien n'est plus surréel ». Byung-Hun Min pourrait bien se retrouver dans cette phrase, lui qui se tient à l'écart de tout mouvement. L'oeuvre de Min paraît en effet isolée du reste du monde, hors du temps, intime, et se développe en marge du raz-de-marée coloré des photographies monumentales « plasticiennes » qui font aujourd'hui partie intégrante de l'art contemporain coréen. D'un raffinement extrême, elle combine la réalité des formes naturelles aux sentiments des hommes qui les observent. Empreinte de romantisme et de lyrisme, elle trouve un écho dans l'inconscient collectif, faisant resurgir des sentiments vécus puis oubliés, nous offrant un havre de paix, un moment de contemplation, un temps d'introspection.
Byung-Hun Min
Rétrospective - Partie I : Portraits
jeudi 13 octobre - dimanche 20 novembre 2011
La galerie particulière
16, rue du perche 75003 Paris